VIVRE ENSEMBLE - Alors que le mois de Ramadan touche à sa fin, des mouvements issus des trois religions monothéistes se sont unis pour une action de solidarité. Le mouvement Habad Loubavitch du Maroc, l’International Fellowship of Christians and Jews (IFJC), et l’association Mimouna ont organisé une distribution de packs alimentaires à Casablanca, Salé et Marrakech. Reportage.
Distribution alimentaire dans la synagogue Slat Lazaama de Marrakech
Dimanche 18 juin, devant la synagogue Slat Lazaama, dès 8h du matin, des habitants accompagnés de leurs enfants attendent de recevoir un sac rempli de produits alimentaires. Les packs contiennent des denrées alimentaires comme des lentilles, de la farine, de la tomate en conserve, du café et du thé, ou encore des biscuits. Toute la journée devant la synagogue, des centaines de personnes défilent. En tout, 1.500 packs ont été distribués aux familles du Mellah.
Cette distribution est organisée pour la deuxième fois au Maroc et pour le Rabbin Lévy Banon, cet élan de solidarité entre communautés est caractéristique des Marocains. "Le Marocain a un coeur extraordinaire, large, un coeur pur. Le rabbi Loubavitch disait toujours que le Maroc est un pays de bonté! Un peuple de bonté et de générosité".
Le rabbin Lévy Banon a quitté le Canada, dans lequel il a grandi, pour revenir au Maroc, le pays qui l'a vu naître, et où il préside le mouvement Habad Loubavitch. Il évoque avec passion et émotion la coexistence des communautés au Maroc et l’histoire du peuple juif qui se confond avec celle du royaume. "Ça fait huit ans que je suis là avec mon association. J’avais pour rêve d’organiser un tel événement et grâce à Dieu, c’est possible. Et quel meilleur pays pour le faire que le Maroc. Nous vivons un rêve au Maroc je peux le certifier". Le président du mouvement Habad Loubavitch a pour espoir d’exporter le modèle du "vivre ensemble marocain".
Ce jour-là, le rabbin se réjouit de voir les gens venir par centaines à la synagogue, une preuve selon lui des liens forts qui unissent les communautés. Pour une mère de famille venue accompagnée de sa petite fille, ce geste n’est pas surprenant: "nos grands-parents vivaient ensemble, dans ces mêmes rues, dans ces mêmes maisons! Ils étaient voisins, mais aussi frères. La religion n’a pas d’importance, nous croyons tous en Dieu. Et nous sommes tous Marocains!"
Dans le cimetière juif de Marrakech
Le Mellah témoigne de la présence historique des juifs au Maroc. Ils sont une partie intégrante de l’histoire du royaume. Ici, personne ne l’a oublié. Dans le quartier, juifs marocains et même israéliens parlent arabe et les musulmans l'hébreu. Les conflits politiques n’ont pas leur place.
Kobi est israélien d’origine marocaine. Il a appris darija avec sa famille en Israël et au Mellah où il réside depuis deux ans. Pour lui, l’entente entre les communautés est possible car "la politique ne vient pas tout enflammer ici! Tout le monde respecte l’autre et sa foi". Pourtant, de nombreux juifs ont quitté le Maroc au lendemain de la création de l’État d’Israël et la guerre des Six jours. On estime qu’il y a encore 2.500 juifs au Maroc dont 250 à Marrakech.
Le Mellah patrimoine culturel judéo-marocain
Alors que la présence juive au Maroc s’est fortement réduite, l’héritage judéo-marocain est lui mis à l’honneur. Sur ordre du roi Mohammed VI, le quartier Hay Essalam a été rebaptisé "Mellah" en décembre dernier. Les rues ont été réhabilitées et ont retrouvé leurs noms hébraïques. Tout un symbole.
L’association Mimouna, fondée par des étudiants musulmans marocains en 2007, a précisément pour but de préserver le patrimoine culturel judéo-marocain. Pour Mehdi Elboudra, Président fondateur de Mimouna, la culture judéo-marocaine est ancrée dans le pays. Mais il reste à la structure la mission de transmettre à la nouvelle génération ce pan de l’histoire marocaine trop souvent ignorée selon lui.
À la synagogue Slat Lazaama, il a mis en place un pavillon culturel. "Les jeunes musulmans marocains chantent beaucoup de chansons judéo-marocaines dans les mariages, sans le savoir. Nous avons créé une application 100% marocaine qui propose aux visiteurs une liste de chanteurs judéo-marocains. On peut cliquer sur un artiste et on propose sa biographie et une playlist. C’est un moyen de faire connaitre aux jeunes du Mellah, mais aussi aux touristes, la culture judéo-marocaine".
À l’intérieur du lieu de culte, les habitants démunis du Mellah sont accueillis par les bénévoles. Volontaires juifs, chrétiens et musulmans, tous sont là pour apporter de la chaleur aux habitants du quartier, qui leur témoignent en retour leur gratitude. "Les trois religions abrahamiques sont là, ensemble, dans la paix et l'espoir pour partager la lumière, l'amour, le sacré, plutôt que ce qui habituellement est relayé par les médias", nous confie avec un grand sourire Yael Eckstein, vice-présidente de l’IJFC. Pour elle, il est avant tout question de partager des moments "de fraternité dans un des rares pays musulmans où il est possible d’organiser un tel événement". "L’accueil des gens est si chaleureux, ils sont reconnaissants et nous aussi", poursuit-elle. À Slat Lazaama, il règne en effet ce dimanche un sentiment de paix et une envie partagée de préserver le modèle marocain.
Un ftour inter-religieux à la synagogue du Guéliz
Le soir, c’est à la synagogue du Gueliz que les différentes communautés se réunissent pour une rupture du jeûne cacher. Le ftour est organisé par les trois associations, qui ont permis plus tôt dans la journée la distribution des packs alimentaires, mais aussi par la communauté juive de Marrakech présidée par Jacky Kadoch . En présence du Wali de la ville ocre, Abdelfattah Lebjioui, une centaine de convives résidant à Marrakech assistent à l'événement marqué sous le signe de la coexistence. Pour la prière du Maghreb, les musulmans ont prié à l’intérieur de la synagogue, "un grand symbole de fraternité et d’amitié qui lie les musulmans et les juifs", se félicite le Wali de Marrakech.
Au cours de la soirée, Abdelfattah Lebjioui et la communauté juive de Marrakech ont remis des trophées à des bénévoles pour leur engagement. Yonel Devico, Marocain résidant à New York, a ainsi aidé à la levée des fonds. Il nous parle de son amour inconditionnel pour le Maroc: "Cet événement est impressionnant et il en dit long sur le Maroc, pays dans lequel je suis né, pays de mon enfance et de mon coeur. Je veux rendre au Maroc ce qu’il m’a apporté et continuer à construire des ponts entre juifs et
musulmans", dit-il.
Les membres des deux communautés poursuivent la soirée dans la communion, prient conjointement pour la famille royale et dansent ensemble sur des musiques judéo-marocaines et des chants patriotiques entonnés par le chanteur Pinhas. Dans cette synagogue en cette chaude journée de juin, à l’image du Maroc et de son identité plurielle, il n y a plus de distinctions entre juifs et musulmans. Tous sont Marocains.